Les défis pastoraux de la famille dans le contexte de l'évangélisation
Réfléchir à l’évangélisation des familles, ce serait d’abord accepter de modifier les présupposés obsolètes de l’institution « Eglise » sur la famille et ses composants.
Contribution en vue du synode sur la famille, 2015
Préambule
Dans le domaine de la vie familiale et sexuelle, nous constatons que les réflexions et les préceptes de la hiérarchie de l’église catholique s’appuient sur une vision ancienne de la famille et de la sexualité.
Au nom de la fidélité à ses positions, sa vision est statique et donc complètement inadaptée aux vécus actuels des personnes et des familles.
N’oublie-t-elle pas d’abord que cette vision n’a pas toujours été identique ? Dans les premiers siècles du christianisme, les réalités sociologiques et culturelles étaient très différentes, et les préceptes de l’église étaient autres. Mais peu à peu l’histoire a amené des directives qui se sont accumulées et figées .Elle oublie surtout que la fidélité n’implique pas le fixisme. Au contraire, pour être fidèle à l’Evangile, pour être entendue, écoutée, comprise, l’église ne devrait-elle pas s’adapter aux contextes de chaque époque ? Mais l’église hiérarchique a peur qu’une adaptation soit perçue comme un renoncement, une trahison de son corpus historique. Et cette peur l’incite à s’arcbouter sur ses mots d’ordre anciens.
Dans le domaine scientifique, on sait combien cet entêtement a été dommageable à la fois aux sciences, et à la crédibilité de la parole de l’église .Dans le domaine social et éthique, le même entêtement se répète, avec les mêmes effets contre la crédibilité de ses positions. Mais maintenant, la place de l’église dans la société s’est affaiblie, en occident, et la société alors se passe de l’église pour avancer : s’élargit donc le fossé entre la vie des hommes et le discours de la hiérarchie ecclésiale, et donc entre les chrétiens et cette hiérarchie.
Bien sûr, on n’oublie pas que l’église peut et doit être témoin de valeurs au sein de notre société, même si ces valeurs sont contraires aux habitudes et au contexte dominant. C’est sa force de témoignage, voire de prophétisme que l’on peut attendre de sa vigilance, en dépit des environnements contingents et des modes.
Mais cela n’exclut ni le dialogue, ni le débat, ni surtout l’autocritique de ses positions face aux constats de changements culturels. D’autant que son rappel fondamental est celui de la primauté de la dignité et de la liberté de chaque personne humaine, dans le cadre d’une solidarité humaine universelle. Face aux tentatives d’abus de pouvoir, d’exploitation, de séduction, d’asservissement. (Cette affirmation d’égale dignité met parfois la parole de l’église en contradiction avec ses propres habitudes ! Ne faut-il pas, par exemple, un certain vice pour affirmer à la fois l’égale dignité de l’homme et de la femme, tout en interdisant aux femmes l’accès au ministère sacerdotal, sous couvert de « vocations différentes » ?)
Le synode sur la famille, en 2014, peut être un acte de courage de l’église hiérarchique de se situer du point de vue des hommes et des femmes d’aujourd’hui, pour leur faire connaître la Bonne Nouvelle de Jésus, et non pas du point de vue de son corpus canonique et dogmatique . C’est pour cela que le synode peut être signe d’espérance pour les chrétiens et au-delà. Mais le risque est grand aussi d’une nouvelle déception…
Le mariage sacramentel
La théologie du mariage s’appuie sur la comparaison de l’union de l’Eglise avec le Christ, et cette union est indissoluble. (Eph ;5,21_ gaudium et spes N°48). « De même que le Christ est uni à son Eglise, de même vous êtes unis l’un à l’autre » De ce fait, face à la réalité humaine de la rupture, du divorce, l’église n’a plus de réponse humaine, mais une réponse légaliste de principe. Pire : elle condamne et interdit les sacrements (par exemple la communion) aux personnes divorcées remariées. Cette sanction était sans doute censée, il y a longtemps, avoir une force dissuasive pour les couples. Maintenant que l’emprise de cette dissuasion est annulée, ne reste que le triste témoignage de la rancune et de la malveillance de la hiérarchie cléricale.
Actuellement, la plupart des couples qui demandent le mariage demandent en fait une célébration solennelle dans la communauté chrétienne, ou du moins dans leur milieu familial et relationnel, mais pas un sacrement au sens théologique, indissoluble. De plus, nombre de conjoints sont agnostiques ou athées, si bien que l’église est amenée à faire célébrer un sacrement qui n’est ni vraiment voulu comme tel, ni vraiment compris, et en ayant conscience que près d’un sur deux de ces couples se sépareront.
« Là où il y a amour, il y a un sacrement, que le couple soit marié ou non, et là où il n’y a pas d’amour, il n’y a pas de sacrement. » ( José Arregi) N’est ce pas dire aussi que quand l’amour n’est plus là, le sacrement n’est plus ?
Ne faudrait-il pas instituer une célébration de mariage non sacramentelle, pour être plus dans la réalité ?(en s’inspirant de la pratique de l’église protestante) et remettre en cause l’indissolubilité du mariage sacramentel ? (mat.5,34)
Il reste qu’une pastorale qui aurait des initiatives pour l’accompagnement de la vie des couples, en amont des décisions de rupture, serait sans doute appréciée.
Nous pouvons également nous interroger sur l’habitude de l’église catholique qui a rendu incompatible le mariage avec le ministère sacerdotal. Advenue progressivement dans le temps, cette habitude peut aussi s’éteindre sans préjudice ni pour le mariage, ni pour le service sacerdotal.
La situation des personnes séparées, divorcées, remariées.
S’adressant à ces personnes, l’église doit prendre en compte qu’elle s’adresse à des personnes qui ont subi une épreuve, une épreuve souvent très douloureuse.
Donc son attitude doit avant tout être une attitude d’accueil, de bienveillance empathique. Et non pas une attitude de réticence, de pitié, de jugement, encore moins de condamnation ou de rejet. Il semble contradictoire de sanctionner des personnes qui ont du affronter une épreuve en ajoutant une autre épreuve au sein de la communauté chrétienne par l’interdit des sacrements. Pour ceux ou celles qui voudraient trouver un réconfort dans leur foi à l’eucharistie, il y a officiellement un obstacle.
Il n’y a pas des divorcés, mais des personnes qui ont divorcé, et cela change tout au niveau humain, religieux et pastoral. L’accueil de l’église devrait faire confiance à chaque personne, à chaque histoire, à chaque vie, et accompagner la personne dans son évolution, y compris si elle a la force et la chance de retrouver l’amour et de construire une famille avec cet amour. Dans ce cas, l’église devrait prendre acte de ce nouveau projet d’amour et le célébrer.
La famille
Il n’y a pas une famille, mais différents modes de familles, dans notre société actuelle. Elles sont le fruit des itinéraires et des histoires individuelles et conjugales. Elles croisent des recherches personnelles de bonheur et des projets de fondation ou de refondation familiales.
Les évolutions culturelles et sociales ont diversifié les situations en matière de sexualité, d’union conjugale, de construction familiale. Elles sont devenues très souvent éloignées de l’enseignement officiel de l’église dans ces domaines, lequel s’est fossilisé sur une réalité sociologique qui n’existe pratiquement plus.(chasteté avant le mariage, contraception « naturelle », chasteté après une rupture…) Cet enseignement n’est même plus attaqué, tant il est devenu insignifiant pour le plus grand nombre.
Les hommes et femmes d’aujourd’hui préfèrent, sauf rares exceptions, leur vie à leur foi en l’église. S’il y a contradiction, ils quittent l’église, plus ou moins douloureusement, plus ou moins violemment.
Si l’église souhaite toujours faire connaître l’évangile aux hommes et femmes d’aujourd’hui, dans la société telle qu’elle est, elle a un sérieux travail d’accueil, de respect, de rencontre, à accomplir. L’église devrait s’adresser à toutes les familles sans jugement, en s’écartant du vocabulaire stigmatisant : normal, régulier, irrégulier, légitime, illégitime.
Sa parole ainsi serait plus accessible et plus crédible, dans les situations rencontrées par les familles et qu’elles résolvent actuellement en fonction de leur liberté et de leur conscience :
Il en est ainsi, par exemple, pour les situations suivantes :
_pour les moyens de vivre une sexualité en se protégeant des M.S.T.
_Pour la reconnaissance de couples non mariés, y compris pour leurs engagements dans la communauté chrétienne.
_Pour l’accueil des familles fondées par des prêtres, qu’ils poursuivent ou non leur ministère dans la communauté chrétienne.
_Pour le choix d’avoir ou non un enfant. Et l’utilisation des techniques contraceptives mises à disposition par la science, et l’utilisation des techniques médicales pour avoir un enfant.
_Pour la reconnaissance de l’union de personnes de même sexe.
C’est à une véritable conversion que l’église hiérarchique et institutionnelle est appelée, pour s’en référer à l’Evangile plutôt qu’à sa loi canonique ou aux habitudes religieuses.