Identité de Jésus ?

Connaissons-nous le père biologique de Jésus ?

La question peut paraître insolite. Et pourtant, si nous consultons les textes des évangiles, le nom du père biologique de Jésus n’est mentionné nulle part. De plus dans le Credo, il est affirmé seulement « Je crois en Dieu le père… et en Jésus Christ, son Fils unique, notre Seigneur ; qui a été conçu du Saint Esprit, est né de la Vierge Marie… ». Il y est confessé, tout à la suite, la foi en Jésus Christ-Messie, en Jésus fils de Dieu et fils unique, en Jésus Seigneur, en Jésus conçu du Saint Esprit, en Jésus né d’une vierge, en Jésus né de Marie. Mais rien n’est dit de son père biologique. N’est-ce pas étrange ? Cet article voudrait donc se lancer dans une recherche qui nous permette d’en savoir davantage sur, il faut bien la nommer ainsi, l’identité de Jésus.

Parmi les 4 évangiles dits ‘canoniques’, deux seulement traitent de l’enfance : Matthieu et Luc. Marc, qui a pourtant été écrit le premier, n’en dit mot. Examinons ces textes selon ce qu’ils sont d’abord, des œuvres littéraires.

Nous étudierons plus loin le récit dit de l’Annonciation, en l’occurrence l’annonce faite à Marie et raconté par Luc (1,26). On a pu d’ailleurs qualifier de « l’annonce faite à Joseph » le récit parallèle écrit par Mattieu en 1,18. Mais Luc n’ayant écrit qu’après Marc et Matthieu, commençons donc par un extrait de l’évangile de Marc.

 

 

Jésus fils de Marie
Il y est raconté que, dans la foule, quelqu’un cria à propos de Jésus : « N’est-ce pas le charpentier, le fils de Marie ? » (Mc 6/3) Notons tout d’abord qu’il n’est pas dit « fils du charpentier », mais bien « Le charpentier. » (1) Les gens de Nazareth le connaissaient ; il y a vécu jusqu’à 30 ans et, de ses 13 ans à ses 30 ans, ils en avaient certainement utilisé les services. Jésus aurait donc exercé ce métier pour subvenir aux besoins de sa mère, de ses frères et de ses sœurs. Tous ceux qu’il choisira comme compagnons de route par la suite avaient eux aussi un métier.
Cette manière d’identifier quelqu’un par « fils de Marie » est tout à fait inhabituelle dans la bible. Un bon juif est toujours référencé par rapport à son père : il est toujours fils de .. papa; on le verra notamment lorsqu’on parlera de généalogie. Chez Marc d’ailleurs, on retrouve en permanence ce type d’expression. Lorsque Jésus appelle ses disciples, ils sont désignés ainsi : « Levi, fils d’Alphée ». (Mc 2/14) Et plus loin, «Il vit Jacques, fils de Zébédée.» (Mc 1/19) L’expression « Jésus, fils de Marie », ce sont les gens de Nazareth, le village où il a vécu toute son enfance qui l’utilisent. Ils connaissaient bien la famille évidemment, 30 ans de voisinage ! Ils s’étonnent de l’entendre parler si doctoralement dans leur propre synagogue. « N’est-ce pas le frère de Jacques, de Joseph, de Jude et de Simon ? Et ses sœurs ne sont-elles pas parmi nous ? » (Mc 6/3) Or, l’évangile de Marc, le plus ancien des évangiles, est donc le plus proche de l’époque de Jésus. Pourquoi donc cette appellation insolite « Jésus, le fils de Marie » et non le fils d’un homme X, comme traditionnellement ?
Dans l’évangile selon Jean, alors que Jésus est sur l’esplanade du Temple de Jérusalem – ce qui a été extrêmement rare – les scribes et les pharisiens lui amènent une femme prise en flagrant délit d’adultère. « Faut-il la tuer par lapidation, comme le demande la loi de Moïse. Qu’en dis-tu ? » A cette occasion, ils lui lâchent qu’ils ne croient pas à son témoignage tout en lui demandant son opinion ; ce qu’ils souhaitaient, ce n’était pas tant un enseignement que de le mettre en difficulté sur l’interprétation de la loi sacrée de Moïse, en somme lui tendre un piège : « Ton témoignage ne vaut pas. » Pourquoi ? Mystère ! Et plus loin, ils lui posent cette question : « Où est ton père ? » (Jn 8/3) Jésus essaie de les convaincre qu’ils sont dans le péché parce qu’ils ne croient pas ce qu’il leur dit de la part de « son père ». Mais de quel père parle-t-il ? Ses opposants lui lancent alors « Nous, nous ne sommes pas nés de la prostitution.» (Jn 8/41) Des rumeurs circulaient-elles déjà sur sa naissance ?

 

L’« Annonce » faite à Joseph
Dès les premières lignes de son récit, Matthieu, lui, affiche un en-tête très prétentieux : «Voici quelle fut l’origine de Jésus. (1/18) » Puis il enchaîne par un bref récit sur lequel nous sautons allègrement ; il est pourtant unique.
Etudions-le attentivement (Mat 1/18-25).
Joseph est très secoué par ce qu’il vient de découvrir. On ignore son âge mais il est alors fiancé à Marie, ce qui à l’époque les fait considérer comme de vrais époux, tout en n’ayant pas encore habité avec elle. Or il découvre que la jeune fille, sa fiancée qui devait alors avoir entre 12 et 15 ans, est enceinte ; à l’évidence ce n’est pas de lui puisqu’ils n’ont pas encore habité ensemble. D’où sa stupeur. A l’époque, cette situation est perçue comme une chose scandaleuse. Pour le jeune couple, c’est une catastrophe ! Joseph envisage alors plusieurs hypothèses. Il veut éviter à sa fiancée, présumée infidèle, la honte de rendre public le fait qu’elle ait été enceinte avant leur mariage. Or adultère signifie pour la femme une mort cruelle, par lapidation.  Joseph ne veut même pas la diffamer publiquement. Or en cas d’adultère, la loi juive autorise le divorce. Il envisage alors une répudiation, mais secrète. Matthieu, dans son récit, considère qu’il a agi alors comme un homme « juste », donc un homme qui fait ce que dit la loi. (On s’interroge cependant : comment Matthieu et son équipe, qui écrivent dans les années 80, ont-ils connu tous ces détails ? Mais passons !) Or le Deutéronome (24/1), qui fixe la loi juive, oblige à ce que la répudiation soit publique ; elle doit être scellée par un certificat officiel. Comment sortir de la contradiction ?
Tout simplement ! Dans les tragédies antiques, on faisait intervenir un des nombreux dieux ; on appelle cela une intervention ‘deus ex machina’ car le dieu descendait du ciel sur la scène du théâtre grâce à des machines, des poulies. Ici Matthieu va faire intervenir… un ange, un ange anonyme d’ailleurs. C’est lui qui va proposer la bonne solution en s’adressant directement à l’intéressé avec un beau titre « Joseph, fils de David » (l’ange est très bien informé ! et il utilise la meilleure référence qui soit !). Il explique : « Marie est enceinte… ‘de l’esprit saint’ ! » ! Belle  mise en scène ! Qui aujourd’hui peut croire à ce scénario et à l’intervention d’un ange ? Les anges sont probablement entrés dans la littérature biblique à l’époque de l’exil de Babylone, vers le 6ème siècle ; ils sont des messagers.
Que disent les autres auteurs ? Paul est le premier rédacteur d’écrits du NT (en 50-64, avant même l’évangile de Marc.) Il ne dit rien de la naissance de Jésus. Dans sa lettre aux Galates, il écrit seulement : « Dieu a envoyé son fils né d’une femme et assujetti à la loi (Galates 4/4) », sous-entendu ‘comme tout le monde’. Marc, lui, premier auteur d’un évangile, commence son récit par la rencontre de Jésus avec Jean-Baptiste sur les bords du Jourdain, là où Jean baptisait. Mais il ne dit rien de la naissance, ni de l’enfance.
Quant à Jean, quatrième auteur, il commence son récit (après le prologue mystique sur le Verbe) par l’enquête menée par des pharisiens auprès de Jean-Baptiste : « Qui es-tu ? » ; et lui non plus ne dit rien de l’enfance.
Quand donc a été introduite dans ces écrits du NT l’invention d’une naissance virginale et pour quelles raisons ?

Concevoir une mère-vierge est une pure contradiction, impensable pour un juif. On sait que Matthieu et Luc ont copié en grande partie les récits premiers de Marc, sauf pour l’enfance où ils ont tout innové puisque Marc n’en dit rien. Matthieu, qui compose son récit 20 ans après Marc, affirme clairement que Marie s’est trouvée ‘enceinte du fait du Saint-Esprit’. Luc, 10 ans encore après lui, met en œuvre tout un scénario personnel. C’est le récit bien connu de l’annonce faite à Marie, l’annonciation.  Luc y fait intervenir un ange nommé cette fois Gabriel. Il est porteur de multiples révélations. « Tu concevras un fils, dit l’ange à Marie. (pas besoin d’échographie : ce sera un garçon !) Tu lui donneras le nom de Jésus (Dieu sauve)… Dieu lui donnera le trône de David son père…il règnera…sans fin… » » L’ange accumule les révélations, toutes à la fois : une conception surprise, un sexe, un ordre,  un nom, un trône. Et devant le doute de la jeune fille, il en rajoute : l’ombre de l’esprit de dieu, enfant-saint, enfant déjà titré « fils de dieu » Bien qu’elle n’ait pas demandé de preuve comme l’avait fait le prêtre Zacharie, père de Jean Baptiste, Gabriel lui en fournit une : Elisabeth, ta parente, est enceinte, elle aussi, malgré son grand âge… Les anges, envoyés de Dieu et ses porte-parole dans la cosmogonie biblique, remplacent ici les dieux des « deus ex machina » de théâtre.

L’Annonciation par Matthias Stom (début XVIIe)

 

Un scène de Théâtre
Luc a construit une jolie pièce de théâtre, comme en ont écrit Racine ou Corneille !  Il cherche évidemment à être cohérent dans le déroulement de l’épisode mais surtout il cherche à faire passer le message essentiel pour les juifs auxquels il s’adresse : ce Jésus est le Messie annoncé.

Continuons donc. C’est bien beau tout ça mais comment ça peut se faire ? a objecté Marie évidemment : « je ne connais point d’homme ».(1,34) ‘Connaître’, en termes bibliques, c’est avoir des relations intimes avec X. Et Marie est très jeune. Comme tous  les juifs, Matthieu est un juif familier des textes bibliques ; il  trouve la solution dans les premières pages de la Genèse ; comme aux premiers jours du monde, « La terre était informe et vide, les ténèbres étaient au-dessus de l’abîme et le souffle de Dieu planait au-dessus des eaux. Gén. 1, 2» Le souffle, l’esprit de dieu souffle sur les eaux pour les féconder. Et Matthieu le transcrit dans la réponse d’un ange qui a la réponse toute prête : « L’esprit saint viendra sur toi et la puissance du Très Haut te couvrira de son ombre… » L’esprit saint ? l’auteur ne vise pas le Saint Esprit défini comme troisième personne de la trinité par un concile mais au 4ème siècle. Non ! Pas de confusion historique ! Matthieu évoque le souffle (pneuma en grec) de l’esprit de dieu, celui qui rend fécond les eaux de la mer. Matthieu veut affirmer clairement la virginité de Marie et la conception de Jésus par le saint esprit mais il se heurte au fait des doutes d homme, Joseph, sur cette virginité. Ainsi en maintenant son affirmation, il s’est fait l’écho d’une toute autre version sur les circonstances de la naissance de Jésus en faisant référence au fait que, selon un bruit qui courrait, Jésus serait né d’une relation adultérine de Marie sa mère, à telle enseigne que Joseph, son époux, « avait résolu de la répudier secrètement » (Math. 1,19).

Luc est cohérent dans son propre récit ; tout s’y enchaine à merveille. Mais il est en contradiction avec le récit que nous avons étudié sur les doutes de Joseph racontés par Matthieu ! Deux récits, deux évangiles qui se contredisent, et nous n’avions pas fait d’objection en les fréquentant. Manquerions-nous vraiment d’esprit critique !
Toujours est-il, au point où nous en sommes, que personne ne connait le père biologique de Jésus !

 

Les prophètes l’avaient prédit
Matthieu, s’adressant donc aux juifs, veut leur montrer que ce qui arrive a été longuement préparé par ce dieu, leur Dieu, qui intervient dans l’histoire des hommes, du moins dans l’histoire de leur peuple. C’est ainsi que tout au long de son évangile il va parsemer son récit de « tout ceci advint pour que s’accomplisse cette prophétie… » Le grand mot est lâché : nous sommes dans la phase d’« accomplissement » jusqu’à cette parole qui aurait été dite par Jésus mourant sur la croix : « Tout est accompli »  Ici, pour ce récit de l’enfance, Matthieu va citer un texte d’Isaïe (7,14)

« Or tout ceci advint pour que s’accomplît cet oracle prophétique du Seigneur :
Ἰδοὺ ἡ παρθένος ἐν γαστρὶ ἕξει καὶ τέξεται υἱόν, καὶ καλέσουσιν τὸ ὄνομα αὐτοῦ Ἐμμανουήλ, ὅ ἐστιν μεθερμηνευόμενον Μεθ’ ἡμῶν ὁ θεός. Mat. 1,28 ecce virgo in utero habebit et pariet filium et vocabunt nomen eius Emmanuhel quod est interpretatum Nobiscum Deus Voici que la vierge concevra et enfantera un fils, et on l’appellera du nom d’Emmanuel, ce qui se traduit : « Dieu avec nous ».

L’Évangile de Matthieu aurait été écrit à Antioche de Syrie et en grec. Matthieu utilise la traduction de l’Ancien testament dite des Septante, c’est-à-dire la Bible hébraïque traduite de l’hébreu en grec vers 250 avant Jésus à Alexandrie d’Égypte. En hébreu il est dit « la jeune fille (en hébreu ‘Alma’ עַלְמָה/ La vierge se traduit ‘Bethula’ בְּתוּלָה) concevra ». Malheureusement, comme le dit l’adage « traductor, traditor, Le traducteur peut aussi être un traître » en déformant la signification d’un texte. Le mauvais traducteur à traduit en grec « la vierge (partenos) concevra », ce qui arrangeait bien Matthieu ! Ce dernier a donc retenucette traduction grecque de la septente qui utilise le terme grec de « partenos », comme on peut le lire ci-dessus dans le texte original à gauche. Matthieu appliquera bien souvent à des évènements présents un texte de l’AT comme texte prophétique de cet évènement.

 

Une généalogie bien  particulière
Analysons en détail un autre texte. Matthieu introduit son évangile-bonne nouvelle par une généalogie. Ils ne sont que deux à mentionner une généalogie : Matthieu et Luc. Mais Luc la situe plus en aval (Ch. 3), lors du baptême de Jésus, après avoir cité les paroles venues du ciel : « Tu es mon fils ; moi, aujourd’hui, je t’ai engendré. » Paroles tirées du Psaume 2 et qui veulent signifier l’introduction de Jésus comme Messie annoncé pour le peuple juif.

Peu d’entre les lecteurs s’attardent à ces généalogies étranges. Quel intérêt représente cette longue litanie de noms, la plupart inconnus de nous ? Pourtant ce texte placé au cœur du récit évangélique chez Luc, mais en introduction chez Matthieu (Ch. 1) ne peut pas être là sans raison.
Pour traduire « evangelium », nous employons l’expression « Bonne Nouvelle » sans toujours nous demander en quoi ces textes nous apportent une bonne, une heureuse nouvelle ; quelle a été la bonne nouvelle en particulier pour les contemporains juifs de Jésus ? Nous devons en effet nous situer au niveau de leur histoire sans empiéter sur la suite et notamment, sur ce que le message a pu devenir à travers les siècles. Nous nous plaçons ici sur le plan du Jésus de l’histoire, un plan différent du Jésus de la foi. On sait que cette distinction est fondamentale dans la manière dont les exégètes réfléchissent aujourd’hui à une meilleure compréhension de Jésus et de son message en le replaçant dans son cadre d’origine. Jésus est un juif à 100%, pas un opposant du judaïsme. Et de plus il nous faut reléguer dans le passé cette manière de le comprendre comme fondateur d’une nouvelle religion qui remplacerait le judaïsme. Jésus, juif et vrai juif fidèle, a voulu être un réformateur de la loi juive qu’il a tenté d’humaniser.
Essayons alors de comprendre pourquoi, en introduction, Matthieu nous présente une généalogie qui, à première vue, nous semble vraiment fastidieuse, et qui est de fait surprenante, sans rapport apparent avec ce que pourrions attendre d’une «bonne nouvelle»… sauf si nous arrivons à la resituer dans son contexte.

Daniel Marguerat, un des meilleurs exégètes actuels du Nouveau Testament, dans son ouvrage « Vie et destin de Jésus de Nazareth » publié en mars 2019, attire notre attention. «Une généalogie en début de texte, dit-il, c’est un signal à l’intention du lecteur ; l’auteur de l’Évangile de Matthieu, lui, montre de quelle histoire Jésus est le produit. »
https://www.mondedelabible.com/a-lire-vieet-destin-de-jesus-de-nazareth-par-danielmarguerat/

Nous l’avons dit en effet, Matthieu et son école, écrivant au moins 10 ans après Marc, s’adressent à un public juif. Dès le lever du rideau, dès sa première ligne (ch.1 ,1), il nous annonce « Jésus, fils de David ». On ne sait encore rien de sa vie, rien de sa naissance ou de ses premières prédications, et le voilà déjà en quelque sorte sacré roi, parce que désigné comme fils du grand roi David. Ce dernier aurait régné de -1010 à -970 selon une estimation des archéologues. Osons la comparaison, je vois mal comment, personnellement, arrivant dans un groupe de travail à l’usine ou au bureau, je devrai me présenter comme le fils d’un aïeul qui vivait plus de 1.000 ans avant moi !! Mais hélas ! Nous nous sommes habitués à lire cela, sans sourciller, dans les livres bibliques !
Cette généalogie de Matthieu nous présente ensuite d’une manière répétitive X fils de Y, l’un et l’autre étant toujours des hommes; tel père engendra tel fils… comme nous l’avons vu précédemment. Rien que des hommes Sauf…
Sauf en quatre endroits. En effet quatre femmes, en fait quatre mères, se sont glissées dans cette longue énumération masculine. Et ces noms d’intruses n’ont pas été choisis au hasard. Nous le verrons plus loin car l’auteur veut montrer dans quelle drôle d’histoire il situe Jésus. A sa différence, Luc, dans sa généalogie, reste très classique ; il n’y introduit aucune femme. Regardons en détail. Ces histoires sont riches de sens et les juifs de l’époque, fiers et pétris de l’histoire de leur peuple, un peuple qu’ils disaient élu de Dieu, ont dû les interpréter bien plus facilement que nous !

Qui sont ces quatre femmes ? Et pourquoi sont-elles là ?
1. Tamar est la première nommée : « Juda engendra Péreç et Zara, de son union avec
Tamar » (Mat 1/3). Qui était cette femme ? Pourquoi figure-t-elle ici ?

Tamar et Juda, son beau-père. Tableau de Horace Vernet en 1840.
© Heritage Images/Fine Art Images/akg-images

Il nous faut dire un mot de son histoire. Tamar est une cananéenne, auparavant mariée. Elle perd son mari, qui était un juif, un fils de Juda. (Josué, 2, 1-24) Or il existe une règle, celle du lévirat : « Quand un homme marié meurt sans descendance, un de ses frères doit prendre sa place auprès de la veuve pour lui faire un enfant qui prolongera la lignée. » Le frère s’appelle Onan ; son nom est resté célèbre ! Onan refuse de faire un enfant à son frère : « Il laissait sa semence se perdre à terre ! » dit le texte. L’onanisme est resté dans les annales ; il se dit aujourd’hui masturbation ! Dieu le punit ; il meurt. (sa mort est du moins interprétée comme une punition de Dieu !) Catastrophe pour Tamar. L’autre frère est trop jeune. Alors Tamar imagine un stratagème ! Elle se déguise en prostituée et séduit son beau-père juif, Juda. Il ne l’a pas reconnue sur le bord du chemin. Quand il s’apercevra que sa belle-fille est enceinte, Juda va l’injurier… avant de découvrir qu’il est lui-même le père de l’enfant ! Plus exactement de jumeaux, Pérec et Zara! (Genèse ch.38) Et Pérec entre ainsi dans la lignée qui aboutira à Joseph, père ‘ adoptif ‘ de Jésus. La question de la lignée était première.

2. Rahab est la seconde femme citée dans cette généalogie d’hommes. « Salmon engendra Booz de son union avec Rahab. » (Mat 1/3)
Rahab est aussi une prostituée, pas une occasionnelle, mais une professionnelle, une des plus belles femmes de l’histoire, raconte-t-on ! Elle habite Jéricho, ville cananéenne. L’histoire se situe durant la conquête de la terre de Palestine par le peuple hébreu. Les troupes de Josué vont attaquer la ville. Josué envoie deux espions en avant-garde pour repérer les lieux. Rahab va cacher ces espions étrangers sur le toit de sa maison afin que les soldats de la ville ne les découvrent pas, puis elle les fera s’échapper par une fenêtre. En échange de ce service, les soldats de Josué épargneront sa famille alors qu’ils détruiront toute la ville de Jéricho, selon le récit biblique. Cette femme prostituée et d’origine étrangère est non-seulement introduite dans le peuple juif pour la remercier de son geste (Livre de Josué Ch 2 à 6), mais Matthieu la place aussi comme ancêtre de Jésus, dans sa lignée.

3.Ruth est la troisième citée : « Booz engendra Jobed, de son union avec Ruth. » (Mat 1/5).
Ruth, c’est une femme qui habite de l’autre côté du Jourdain, au pays de Moab. Une étrangère à Israël encore. Elle a épousé le fils de Naomi dont la famille a été chassée de Bethléem par la famine ; mais celui-ci meurt. Un jour, elle accompagne sa belle-mère, déjà veuve aussi, qui part pour Bethléem. Ruth s’arrête pour glaner dans le champ d’un riche parent de Naomi nommé Booz. Booz l’accueille avec énormément de sollicitude au point d’ordonner à ses ouvriers de laisser volontairement tomber quelques épis en liant les gerbes.
 Naomi encourage alors sa belle-fille à séduire Booz alors qu’il vanne l’orge. « Parfume-toi, mets ton manteau et descends sur l’aire. Mais ne te fais pas connaître de cet homme jusqu’à ce qu’il ait achevé de manger et de boire. Quand il se couchera, arrive, découvre ses pieds et couche-toi. Lui, t’indiquera ce que tu as à faire ! » (Livre de Ruth 3/2-5) Grace à ce  stratagème inventé par la belle-mère Naomi, Booz découvre Ruth mais il l’épousera selon les formes traditionnelles et il rachètera même les champs de Naomi, la belle-mère, la tirant ainsi de la famine. De cette union naquit un arrière-petit-fils, le Roi David ; il s’agissait pourtant d’une relation impure puisque réalisée avec une étrangère, une moabite, de celles qu’on soupçonnait d’adorer des idoles. L’auteur veut ainsi partir à contre-courant des règles et des opinions habituelles farouchement opposées à toute union avec des étrangers, et surtout des étrangères, en révélant que David lui-même avait du sang moabite. Ruth devient ainsi  l’exemple de la véritable conversion : une vie transformée par la connaissance de Dieu. Les peintres s’inspireront de cette belle histoire. Victor Hugo fera un poème sur ‘Booz endormi’

4. Quelle est la quatrième femme citée dans cette généalogie ?
« David engendra Salomon, de son union avec la femme d’Urie » (Mat 1,6)  Le texte ne donne pas ici le nom de cette femme ! Étrange ! Pourquoi ? Il s’agit d’une histoire plutôt sulfureuse. Elle s’appelait Bethsabée. Son nom ne nous est pas inconnu ; les peintres de la Renaissance en ont fait un de leurs motifs privilégiés !

Bethsabée par Rembrandt 1654 Le Louvre
(elle tient en main l’invitation du roi David à la rejoindre)

Le Roi David aperçoit un soir, du haut de la terrasse de son palais, une femme en train de se baigner. Elle est très belle. Il se renseigne ; c’est la femme d’un capitaine de son armée, un hittite, c’est-à-dire un étranger originaire d’un peuple d’Anatolie florissant au siècle précédent, et devenu un de ses lieutenants. Or, l’armée est en train de guerroyer contre les Ammonites, un royaume installé du côté de l’actuelle Jordanie. Il fait venir la femme au palais et couche avec elle. Quelques temps après, la femme lui fait savoir qu’elle est enceinte. Alors, stratagème ! Il fait revenir Urie, le capitaine; dans l’espoir qu’une nuit avec elle effacera son adultère. Le mari refuse de coucher avec son épouse mais par solidarité avec ses soldats qui campent sur le champ de bataille. David le fait boire. Rien n’y fait. Alors il le renvoie au combat mais ordonne à ses généraux de le placer au plus fort des combats. Résultat gagnant : Urie est tué. Le prophète Nathan le lui reprochera. David se repent. « J’ai péché contre Yahvé ! ». Le fils ainsi engendré mourra. Alors David fait venir la femme, maintenant veuve, chez lui. Un second fils naîtra : on l’appellera Salomon ! « Et Dieu l’aima. » Quelle suite : adultère, assassinat, machinations, trahison, cadavres accumulés… un plan sinistre dans une histoire qu’on nous avait qualifiée de « Sainte » ?! Mais David s’est repenti. Il sera loué pour sa conversion. David a eu plusieurs épouses officielles avant Bethsabée, et peut-être une centaine d’officieuses ! Il eut, dit-on, 8 enfants dont 7 garçons. Pourtant, Bethsabée va jouer des coudes, appuyée par le prophète Nathan et moyennant quelques assassinats dans la famille de David, elle va parvenir à faire reconnaître son fils Salomon comme le successeur officiel par un David très affaibli. Il était pourtant d’origine particulière ! Et doublement : fils d’un adultère et fils d’une femme mariée auparavant avec un étranger ! Il régnera cependant à partir de 970. Il construira le fameux temple de Jérusalem. Ce récit de la succession de David est capital; c’est un des tout premiers textes écrits de la Bible, pensent certains chercheurs. David et son fils Salomon sont considérés comme les deux fondateurs de l’ancien État d’Israël. Mais il n’y aura plus de roi ni en Israël au nord à partir de 722 avant JC (avec l’invasion des Assyriens), ni dans le royaume de Juda au sud dès 587 lors de l’invasion des Babyloniens et de la déportation des élites. Comment alors s’accomplira la promesse faite à David et transmise par le prophète Nathan : «Ta maison et ta royauté subsisteront à jamais devant moi et ton trône sera affermi ». Pour ta descendance  « Je serai un père et il (elle) sera pour moi un fils » ? (2 Samuel 7/16) On est dans l’attente ! Un Messie naîtra de cette souche. Matthieu l’annonce : c’est Jésus. « Celui-ci est mon fils bien-aimé ». C’est la voix qui des cieux se fait entendre au baptême de Jésus (Mat 3/17).

Qu’y a-t-il de commun à ces quatre femmes ?
Elles sont devenues mères à la suite d’irrégularités sexuelles, mais elles sont justifiées et magnifiées au point d’être inscrites dans l’ascendance de Jésus ! Au lieu de nous citer des matriarches célèbres comme Sarah, Rebecca ou Rachel, Matthieu nous présente Tamar, Rahab, Ruth et Bethsabée qu’un site présente comme « les aïeules sulfureuses de Jésus ».  https://wp.unil.ch/allezsavoir/les-aieulessulfureuses-de-jesus/  Tamar a joué à la prostituée pour séduire son beau-père ; elle a joué la transgression contre le tabou de l’inceste. Rahab est une prostituée professionnelle. Ruth séduit Booz sur les conseils de sa belle-mère et Bethsabée est victime du droit de cuissage royal. Une panoplie de situations vertueuses !
De plus Tamar est cananéenne ; Rahab, aussi, habitante de Jéricho ; Ruth est moabite et Bethsabée est l’épouse d’un hittite. Enfin, caractéristique importante, majeure même : malgré cela, ces quatre femmes se retrouvent intégrées dans le peuple d’Israël, réhabilitées en quelque sorte. Elles occupent même dans l’histoire biblique des places de premier rang : Tamar engendra Péreç qui fut l’ancêtre de David. Rahab la prostituée, païenne, étrangère, du plus bas rang social, va rejoindre le peuple élu. Elle sera citée comme un modèle de foi parce qu’elle a tourné le dos à ses dieux : « Je sais que le seigneur YHWH est Dieu au ciel et sur la terre, proclame-t-elle », une véritable conversion, une magnifique profession de foi. Ruth la moabite sera aussi louée pour sa conversion au judaïsme : elle sera l’arrière-grand-mère de David. Quant à Bethsabée, elle enfantera de David le grand roi Salomon, celui qui avait été baptisé par le prophète Nathan du beau nom de Yedidia « le Bien-Aimé du Seigneur ».
Pourtant la loi juive interdisait rigoureusement tout commerce charnel avec les peuples étrangers. Les étrangers devaient être tenus à distance, car il convenait de préserver la pureté, de maintenir la sainteté du Peuple que Dieu s’est choisi en le différenciant des peuples idolâtres (Exode 23/32). D’où, entre autres, les lois très strictes sur les mariages ou encore sur la consommation. Comme Tamar, Rahab est Cananéenne. Dans le Deutéronome, on oppose toujours Israël, la population qui arrive, à Canaan, les autochtones, ceux qui étaient là auparavant, mais avec qui on ne devait pas se mélanger, même si, en pratique, de telles unions étaient fréquentes. Nombreuses sont les occasions où Jésus interviendra sur la pureté. A travers les histoires de ces quatre femmes, l‘auteur fait aussi passer un message nouveau : certains métissages ont été bénéfiques ; c’est l’invitation à une ouverture. Il n’en reste pas moins que toutes ces naissances sont hors norme, le fruit d’une union irrégulière et donc illégitimes au regard de la Torah.

Une cinquième femme
Avançons d’un cran. Dans cette généalogie de Matthieu, il y a même une cinquième femme ! A la suite de cette longue énumération descendante, d’Abraham à Jésus, et comme s’il s’agissait d’amener le lecteur à tirer lui-même la conclusion, sans la lui dicter, Matthieu insère une cinquième femme : c’est Marie ! «Jacob engendra Joseph, l’époux de Marie, de laquelle est né Jésus. » Contrairement aux personnages habituels de la généalogie, Joseph n’y est pas dit père de Jésus, mais « l’époux de Marie de laquelle est né Jésus. » Epoux ? … mais une fois que la conception avait déjà eu lieu ! On a vu plus haut comment Matthieu a campé un Joseph plus que surpris de ce qui lui arrivait.
Que veut bien signifier Matthieu en mettant quasiment la situation de Marie en parallèle avec celles de ces quatre femmes ? Elle aussi a conçu son fils dans des conditions irrégulières, hors norme. Matthieu met en scène un enfant né hors mariage. Joseph n’est pas son père. C’est dit par deux fois chez Matthieu (1,18 et 1,25). L’enfant a donc été conçu hors d’une relation légitimée par la Torah.
Le message est clair : avant Jésus, et dans sa lignée, il y a déjà eu d’autres naissances irrégulières dans la famille de Joseph. Il n’est pas le premier ; elle n’est pas la première. mais…
Matthieu, vers la fin du premier siècle, a entendu lui aussi des bruits sur la naissance hors norme de Jésus et il veut certainement en atténuer l’impact. Dans le rôle, Joseph ne peut soupçonner sa fiancée d’avoir couché avec son petit copain. Y aurait-il eu un viol, comme le suggèrent des écrits rabbiniques ?(2) Viol attribué à un soldat romain, comme le diront certains évangiles apocryphes ? Nul ne sait !!
Mais ces cinq femmes ont en commun d’avoir enfreint, volontairement ou non, les lois de pureté qui régissaient le peuple élu! Ces règles de pureté très strictes, très tatillonnes même, encadraient alors la vie quotidienne et toutes les activités des croyants (3). On sait comment Jésus va s’attaquer durement à ces notions de pureté, par réaction peut-être aussi ! Il sera assassiné en raison de ces interprétations et de sa liberté à l’égard de la loi.
Ainsi annonce Matthieu, à travers ces unions irrégulières et ces enfants illégitimes, Dieu conduit son peuple en se servant des médiations humaines. Tous ces enfants, nés de relations irrégulières, ont été la gloire d’Israël comme héritiers et garants de l’Alliance. On disait autrefois : Dieu écrit droit avec des lignes courbes ! Matthieu y voit une continuité : Dieu intervient sans cesse dans l’histoire du salut apporté à ce petit peuple choisi par lui et il se sert de toutes ces situations, même les plus scabreuses et déviantes au regard de la loi pourtant sacrée.
Ainsi ces 4 femmes se retrouvent désignées et exaltées par Matthieu comme aïeules ou mère de Jésus, dans son ascendance ! Et Marie se trouve justifiée avec elles.

Un chercheur américain, Bruce Chilton, spécialiste du christianisme, a ainsi proposé de voir en Jésus un « mamzer » (Deut. 23/3), autrement dit un enfant illégitime, un enfant bâtard. Bâtard ? Ce terme nous paraît choquant aujourd’hui mais pour approcher le Jésus de l’Histoire, il faut se replacer dans son histoire, celle de son temps, (‘Jésus en son temps’, comme titrait le livre, tout nouveau à l’époque, de Daniel Rops) dans un lieu, la Palestine occupée (les romains avaient conquis la Palestine soixante ans avant la naissance de Jésus), et un temps rythmé et encadré par la loi juive. Bien des enfants naissent aujourd’hui hors mariage, certains avant mariage seulement, mais il n’y a plus cet encadrement religieux ni cette pression sociale. Le Deutéronome (23/3) précisait le statut de ces enfants nés hors mariage : ils seront exclus de l’Assemblée de Dieu et de même leurs descendants, jusqu’à la dixième génération. Leurs droits à l’héritage sont minimes et leurs possibilités de fonder un foyer et d’avoir des enfants sont compromises. Un mamzer ne pouvait se marier qu’avec une mamzer.(4) Autrement dit, le Mamzer est condamné au célibat, s’il ne veut pas que les enfants qu’il aurait pu avoir soient frappés d’exclusion comme il l’a été. Mais dans l’histoire du peuple juif, il y eut beaucoup d’exceptions, surtout quand il s’agissait d’enfants nés d’une mère israélite. On y connaît des hommes célèbres qui ont eu une naissance incestueuse ou illégitime : Jephté devenu Juge, les enfants de Tamar comptés parmi les aïeux du roi David, Salomon le fils de Bethsabée (1, Rois 1,21) : David en a fait son successeur sur le trône. En principe, on leur retirait tout au moins la possibilité d’accéder aux emplois, aux dignités, aux privilèges des vrais Hébreux, sinon après un long temps, et lorsque la tache de leur naissance était entièrement effacée ou oubliée.

Et nous restons ainsi sur notre faim : Nous ne connaîtrons jamais le nom du père biologique de Jésus, et pour cause !
Ce qui pouvait nous apparaître comme une généalogie sans intérêt (passons au chapitre suivant, plus intéressant pour notre vie, diraient certains !) est devenu une source d’information assez extraordinaire sur l’histoire même de Jésus. Pourtant, on a voulu calquer le statut du prêtre sur celui de Jésus : le prêtre doit être célibataire parce que Jésus a choisi d’être célibataire, disait-on ! Si donc, avec de grands noms de l’exégèse, nous accordons valeur à notre hypothèse, ce serait à cause d’une transgression de la loi de pureté sexuelle (fut-elle involontaire par le fait d’un viol) que Jésus serait né « mamzer », et donc condamné au célibat, et non célibataire par choix personnel. On mesure le dévoiement que représenterait alors l’obligation disciplinaire du célibat sacerdotal ! Sans parler du fait que, au 13ème siècle, par cette règle, on a voulu sauver, principalement diront certains, le patrimoine d’une église devenue riche par les dons notamment reçus de princes et de rois – soucieux de préserver leur salut éternel – mais dont le patrimoine risquait d’aller aux enfants de prêtres.
Une piste de travail consisterait à analyser comment cette église s’est développée exclusivement à partir de la figure emblématique et mythique de Jésus-messie-ressuscité et a complètement perdu de vue cet homme Jésus, le Jésus de l’histoire, Jésus de Nazareth. (5)
Cette hypothèse nous permettrait donc de comprendre pourquoi Jésus, lui-même un marginal de la société juive de par sa naissance, a été si proche des exclus de son époque : les prostituées, les lépreux (Mc 1/40), les bergers, les juifs ‘collaborateurs’ si honnis par la population parce qu’ils collectaient les taxes imposées par l’occupant romain, les dits ‘possédés du démon’… mais aussi proche de tous ceux que leur infirmité tenait éloignés de la vie sociale : aveugles, estropiés, paralysés (Mc 2,3)… Il n’a pas rechigné à manger avec des pécheurs, des publicains, et même des scribes dans la maison de Lévi, futur disciple (Mc 2/13). Cette miséricorde n’est-elle pas la clé de cette Bonne nouvelle que représente aujourd’hui comme autrefois son message toujours actuel de fraternité universelle. Et cette condition très particulière de sa naissance, qui a fait place à tout le flonflon de la crèche, de l’étoile et des petits anges, nous le rend encore plus attachant en tant qu’homme avec qui nous pouvons partager tant de valeurs humaines.

A la fin de cette lecture, un peu longue, je vous le concède, une question se pose : préférez-vous le bon Jésus à la crème de chantilly qui nous est si souvent servi ou bien ce Jésus, un galiléen bien réel, prenant ses distances avec sa famille, surmontant son handicap et devenant cet homme solide, d’abord disciple de Jean le Baptiseur, capable d’affronter les scribes, les prêtres et les docteurs de la loi pour les inviter à humaniser leurs prescriptions ?
Nous avons encore beaucoup à découvrir et à redécouvrir sur Lui. Mais nous devons aussi nous délivrer de tout ce qui a pu être greffé, enjolivé, magnifié, surajouté abusivement au cours de 20 siècles. Nous avons besoin de déconstruire pour accéder à une foi adulte. Nous avons besoin de rendre à Jésus toute son humanité. Plus on ajoute du sacré, plus cette église se revendique comme son unique messagère et représentante attitrée. Il faut donc aussi désacraliser, ce ne peut être que le fruit d’une intense réflexion. Nous avons aussi besoin de lui rendre aussi toute sa judéité pour comprendre les récits des évangiles !
Bon courage !

Jean COMBE 07 2023

————————————————————————————
(1) L’évangile dit selon Saint Jean ne mentionne jamais le nom de Marie. Il parle toujours de « la mère de Jésus » ; il signale sa présence par deux fois : lors des noces de Cana en Galilée et lors de la crucifixion, mais jamais par son nom. Saint Paul dan ses nombreuses épitres, dit seulement dans l’épitre aux Galates que Jésus est ‘né d’une femme’, comme tout le monde en somme, sans autre précision ! C’est pourtant le document le plus ancien du Nouveau Testament. Dans le reste du corpus paulinien et les autres lettres du Nouveau Testament (les épîtres dites catholiques), Marie n’est pas évoquée. On peut se demander comment et pourquoi Marie a pris ensuite dans l’imagerie et la piété chrétienne une telle place ? Il n’est pourtant pas facile de transformer une jeune fille probablement violée et mère de 5 enfants en modèle de Vierge !

(2) Des textes du Talmud, il est vrai assez tardifs, se font aussi l’écho de cet adultère et présentent même Marie comme une prostituée. Dès la fin du second siècle, le philosophe païen Celse et le théologien chrétien Tertullien se font l’écho de ces allégations. Elles seront reprises, sur un mode pamphlétaire par les Teledoth Yeshuh rédigés au sein du judaïsme du Xe siècle. La prostituée élevée au rang de Sainte Vierge, un comble et un triomphe pour la spiritualité chrétienne !

(3) En qui ce concerne ces règles de pureté-impureté, nous ne pouvons que renvoyer le lecteur à d’autres sources sur ce sujet capital – afin de mieux comprendre cet univers social et religieux où Dieu est omniprésent, vulgairement dit, mis à toutes les sauces !

(4) Selon la loi religieuse de l’époque, un enfant qui n’est pas né d’une union légitimée par la Torah est un bâtard. D’où l’idée que Jésus aurait été considéré comme un bâtard. Si elle est juste, cette hypothèse porte un éclairage nouveau sur différents aspects de la vie de Jésus, dit Daniel Marguerat, le plus grand spécialiste du Nouveau Testament contemporain.

(5) Nous formons le projet d’enclencher une étude semblable au sujet de la dite ‘résurrection’ de Jésus.

————————————————————————————

Cet article a 3 commentaires

  1. combe

    Ce qui me surprend toujours, c’est de constater comment des femmes et des hommes qui assument des responsabilités importantes dans la société – ne serait-ce que celle d’élever et de former des enfants-futurs adultes ! – acceptent si facilement des affirmations aussi étranges que, parlant de Jésus : « il est né d’une intervention de l’esprit saint » ! « il était mort; il est sorti tout seul de son tombeau et a recommencé à manger et parler »;  » il est monté sur une haute montagne et de là, il s’est envolé au ciel » !

  2. Bardon-Aigouy Anne

    Merci bien de ces éclairages, a bientôt, Anne

  3. Claude

    Merci de cette étude documentée et réaliste.
    Somme toute, c’est assez satisfaisant de penser que Jésus de Nazareth est bien né comme nous tous, d’un humain et d’une humaine ! !

Laisser un commentaire