On est pécheur !
Le 19 septembre 2013, au retour de son voyage à Rio, le Pape François donne sa première interview. Elle est destinée aux revues jésuites de 40 pays ; on sait que François est un religieux Jésuite. Il a été élu en mars 2013, 6 mois plus tôt seulement. Et il déclare : « Je suis un pécheur. C’est la définition la plus juste… Ce n’est pas une manière de parler, un genre littéraire. Je suis un pécheur. »
Surprenant comme présentation personnelle !
C‘est pourtant ce qui nous est proposé, au moins chaque dimanche, dans la célébration dite eucharistique. Jugez-en en détail. Parmi les paroles de la messe que les fidèles doivent réciter, voici une partie du programme :
Confiteor : « Je reconnais que j’ai péché devant vous en pensée, en parole, par action, par omission, oui, j’ai vraiment péché. »
Kyrie : « Seigneur, prends pitié ; O Christ, prends pitié, Seigneur, prends pitié. »
Gloria : « Toi qui enlèves le péché du monde, prends pitié de nous. »
Credo : Jésus n’est plus nommé dans sa nature humaine, fils de Joseph et Marie. Il ne demeure plus que « le Christ », « le Seigneur », « Jésus Christ » ; il n’est pas fait allusion au fait qu’il incarne l’amour de Dieu pour nous. Par contre, il nous faut croire qu’il « reviendra pour nous juger. »
Dans l’oraison, il est question du sacrifice du prêtre ainsi que du nôtre pour être agréable à Dieu le Père tout puissant.
Après le Notre Père : « Ne regarde pas nos péchés ».
Agneau de Dieu : « Toi qui enlèves le péché du monde, prends pitié de nous ». Agneau de Dieu, (répétition) « Toi qui enlèves le péché du monde, prends pitié de nous ». Agneau de Dieu, (ter) « toi qui enlèves le péché du monde, reçois notre prière ».
Communion, « Seigneur, je ne suis pas digne de te recevoir (on se frappe la poitrine) ; mais dis seulement une parole et je serai guéri ».
Je vous salue : Marie, Prie pour nous, pauvres pécheurs (pléonasme).
Plus de 15 fois, nous devons publiquement rappeler au Christ que nous avons compris que nous sommes pécheurs, comme s’il l’ignorait, comme s’il n’avait pas entendu, comme s’il l’avait déjà oublié ! (1)
On nait pécheur?
Lorsque mon petit neveu de 6 mois a été baptisé, j’ai entendu le prêtre annoncer solennellement qu’il allait le délivrer du péché originel ; je me suis retenu de quitter la cérémonie, sachant que le péché originel a été inventé par Augustin d’Hippone au 4éme siècle en pervertissant le récit de l’expulsion du paradis terrestre de nos soi-disant premiers parents Adam et Eve. Personne avant lui, surtout pas Jésus, n’avait parlé de ce dit péché qui est censé frapper toutes les générations par le seul fait de la copulation, toute naturelle chez les mammifères, d’un homme et d’une femme ! Le geste qui transmet la vie est devenu, selon la conception d’Augustin l’obsédé, une source de mort : Il a simplement inversé les valeurs ! Et c’est ainsi que, dans notre civilisation largement inspirée du christianisme, toute référence au plaisir, au désir, est d’emblée entachée de culpabilité.
Or nous savons que lorsqu’un homme ou une institution ont réussi à convaincre un autre homme qu’il était coupable, ils le dominent.
Après la mort, disons même l’assassinat de Jésus, les juifs qui avaient adhéré à son enseignement ont quand même continué à fréquenter le Temple d’abord puis les synagogues, une fois le Temple détruit par les romains en 70. Mais ces disciples de Jésus en ont été chassés vers la fin du siècle. Le Grand prêtre Gamaliel est allé à Rome jouer les bons offices ; il a demandé à l’Empereur de reconnaître le Judaïsme nouveau reconstruit après la perte du Temple et de persécuter cette secte des disciples de Jésus qui venaient le perturber. La persécution eut bien lieu et elle dura jusqu’au règne de l’Empereur Constantin et à l’Edit de Milan en 313. Mais certains disciples avaient abjuré devant les menaces de la persécution : ils souhaitèrent se réconcilier une fois la paix revenue. On exigea d’eux une confession publique et une période de longue pénitence. L’embryon de la confession sacramentelle était né !
Qu'en dit Freud?
En 1913, Freud publie son essai « Totem et Tabou ». Il raconte le mythe suivant : à l’aube de l’humanité, régnait un chef de horde, père terrible qui accaparait toutes les femmes et toutes les richesses. Lors d’une nuit d’ivresse, ses fils frustrés décidèrent de le tuer et de la manger. Une fois dégrisés, le lendemain, ils se retrouvèrent tout honteux et s’interrogèrent : « Par la Déesse-mère, qu’avons-nous fait là ? » C’est ainsi qu’ils expérimentèrent en eux le sentiment de culpabilité. Pour se protéger de la tentation de commettre un autre meurtre, ils édictèrent des lois et des interdits. Et c’est ainsi que naquit la civilisation. Freud explique ainsi l’origine et l’universalité du sentiment de culpabilité.
Il n’est pas besoin d’avoir commis un acte répréhensible ou seulement d’en avoir eu l’intention ; la culpabilité est incluse dans notre psychologie par le fait de la lutte en nous entre le désir de vie et les pulsions de mort. Nous éprouvons un sentiment d’impuissance lorsque, refusant de fermer les yeux, nous considérons ces différents champs de bataille et réalisons que nous n’avons que très peu ou même souvent aucun pouvoir pour changer les choses.
Le seul monde sur lequel j’ai une véritable influence est le mien. Ce monde intérieur… là où réside la source de la vie, selon la promesse de Jésus. Adultes, nous prenons conscience de la réalité d’un monde qui se désagrège sous l’impulsion du mal, de l’égoïsme, du désir de dominer, de posséder et du choix qui est celui des hommes et des Etats : dominer ou se laisser dominer, la vie ou la mort ; le choix entre… l’amour ou la haine, la rancune ou le pardon, le pouvoir ou l’abandon, le contrôle ou la liberté.
‘J’ai mis devant toi la vie et la mort, choisis la vie afin que tu vives. ’Deutéronome 30,19.
Complexe d'infériorité: vers l'atélophobie, ou le syndrome de l'imposteur
Le tout jeune enfant découvre son impossibilité d’agir sur le monde extérieur comme il l’entendrait. Il s’en veut à lui-même. C’est le complexe d’infériorité dont traite Alfred Adler, la perception de soi comme inférieur à ce qu’exige la situation présente. Ce sentiment peut empoisonner l’existence avec la conscience de ‘ne pas être à la hauteur’ d’autant qu’une petite voix intérieure nous souffle « Tu peux faire plus. Tu dois faire plus, sinon c’est que tu es mauvais. » Le narcissisme originel nous stimule et peut alors nous aider à vivre au-delà du complexe.
De fait, qu’est-ce qui nous culpabilise ? La peur de déplaire à nos parents ou de les dépasser ? La peur de déplaire à notre compagnon ? De décevoir ses attentes ou celles de nos amis ? La peur de paraître différent de l’image que nous entendions, même secrètement, donner de nous-mêmes ? Les colères et autres mouvements d’humeur qui montent en nous spontanément face à la bêtise humaine quand nous la rencontrons ?
N'être que soi, c'est déjà pas mal!
Comment lutter contre cette culpabilisation permanente qui nous guette ?
Osons dire en premier, à l’attention des croyants, prendre le chemin d’une foi adulte et d’abord en passant au crible les notions religieuses venant de l’enfance ou même de l’environnement immédiat.
Puis passer par une phase volontaire de ‘désidéalisation de soi’. Nous ne sommes pas parfaits de par notre nature, nos origines, nos antécédents et nous n’avons pas à endosser toute la misère du monde, juste notre part, quelle que soit notre générosité ! Rappelons-nous l’histoire du colibri racontée par Pierre Rabhi : alors que la forêt brulait, le colibri, tout seul, apportait juste la goutte d’eau que son petit bec contenait pour la jeter sur le feu. Et quand le Tatou le traitait de fou, il répondait « Je le sais, mais je fais ma part. »
Par contre, lorsque nous avons été engagés dans un chemin égaré, assumons nos responsabilités. La responsabilisation est le meilleur antidote à la culpabilisation, surtout lorsqu’elle culmine avec un engagement personnel et social.
Jean 05 25
(1) Cf. Golias-Hebdo 61 1 04 25.
