La foi du charbonnier

Du charbon aux dogmes

Confiance, confiance

Quand le clergé évoquait, il y a quelques décennies, la foi du charbonnier, c’était pour nous inviter à leur faire confiance pour adopter les dogmes et les prescriptions de l’Eglise sans se poser de questions.

La très sainte mère Eglise, étant mère, nous guide et pourvoit à nos croyances sans que nous ayons d’effort à faire pour comprendre. Il suffit de croire et d’obéir. Car les docteurs de l’Eglise et la hiérarchie ont, des siècles durant, réfléchi pour nous. Chemin faisant, ils ont ajouté des concepts, complété le vocabulaire, structuré les croyances et les dogmes. Comprendre et énoncer, c’est leur affaire, pas la nôtre. D’ailleurs, l’humilité devant les énoncés de foi, l’acceptation inconditionnelle des déclarations officielles de l’Eglise, bref : la confiance est érigée en vertu pour les « ouailles »

La foi du charbonnier est une foi sans aucun doute, sans question, sans réserve. Notre confiance totale nous dispense d’utiliser, pour les thèmes de la foi, les ressources de notre intelligence. D’ailleurs que pourrions-nous rechercher et interroger, devant des mystères ? devant la transcendance ? devant l’absolument autre et l’indicible ?

Augustin à la plage

Et de nous rappeler l’histoire abondamment ressassée de Saint Augustin en promenade au bord de mer en songeant au mystère de la trinité. Voyant un enfant transporter l’eau de mer dans un coquillage vers un trou voisin dans le sable de la plage, notre saint ne manque pas de lui indiquer l’insignifiance de son travail pour vider la mer. L’enfant alors- un ange, voire l’Enfant Jésus selon les versions de la légende- lui rétorque « Cela me parait plus facile qu’à toi d’épuiser, avec les seules ressources de ta raison humaine, les profondeurs du mystère de la Trinité. » L’une des toutes premières versions de cette légende du 13ème siècle, racontée par un cistercien rhénan, situe la scène en bord de Seine à Paris avec un étudiant théologien. A l’évidence, elle prend plus de force avec la notoriété de saint Augustin ! 

 Saint Augustin, par ailleurs glorieux inventeur du péché originel, a cependant publié en quinze livres son « De Trinitate » qu’il termine en écrivant »je n’ose professer que j’aie rien dit qui fût digne de cette ineffable Trinité. » 

Vous avez dit "charbonnier"?

Evoquer le charbonnier, c’est évoquer l’un des plus humbles métiers humains, celui de ces hommes qui transformaient le bois en charbon de bois dans une charbonnière, pour le livrer aux revendeurs, au 19ème siècle. Les hommes avaient un savoir technique exigeant et précieux, mais les conditions d’exercice du métier, dans les forêts, vivant isolés dans des cabanes spartiates, avec un travail pénible et bien faiblement rémunéré. En Languedoc, on trouve trace des charbonnières dans la garrigue et l’histoire locale précise que les charbonniers étaient souvent des immigrés italiens.  De manière plus récente, au milieu du 20ème siècle, le charbonnier était un revendeur de charbon minéral. Je me souviens personnellement d’une remorque attelée à un cheval, chargée de sacs de boulets d’anthracite, qui passait sous mes fenêtres. A notre demande, le charbonnier, recouvert d’un épais sac de jute, se chargeait d’un sac de boulets de trente kilos et le montait sur ses épaules jusqu’au deuxième étage pour le vider dans notre charbonnière. Rude travail, qui n’exigeait certes pas une grande culture, mais qui ne devait pas laisser beaucoup de temps et de motivation pour réfléchir aux dogmes de la foi chrétienne ! Métier choisi en exemple, avec quelque condescendance, pour incarner le croyant dont la foi religieuse était sans aucun questionnement. C’est en ce sens, je crois, que le pape François l’a évoqué lors de son voyage à Marseille, en 2024.

Et si la foi pouvait être à hauteur humaine?

dogme, vérité, conviction: des concepts relatifsJ’ai plaisir à tenter de venger la réputation du charbonnier. Je prétends avoir effectivement une foi du charbonnier. C’est-à-dire la foi de quelqu’un qui mise sur le bon sens, sur la compréhension réaliste des faits, sur la simplicité des constats et des évènements. Une foi qui refuse le recours au mystère, à la pertinence de l’irrationnel, qui refuse le discrédit de l’intelligence, qui renie les explications faisant appel à un vocabulaire artificiellement construit pour désigner l’incroyable. Une foi crédible, donc. Et à la portée de tout humain, y compris d’un charbonnier et de moi-même. Une foi qui ne se masque pas derrière une complexification pseudo intellectuelle.

Les théologiens, les docteurs de l’Eglise, des siècles durant, ont rivalisé d’érudition pour se combattre, pour tracer d’inconfortables frontières entre les hérésies, les schismes et l’orthodoxie officielle déclarée. Que d’intelligence mal placée et gaspillée ! Quel imbroglio, à mon sens, d’instituer une trinité de personnes en un seul Dieu, aux confins de la mythologie et de l’incompréhensible, pour contrer l’arianisme ? Quelle nécessité d’affirmer une présence réelle corporelle de chair et de sang dans le pain du repas eucharistique, par transsubstantiation instantanée de la farine et de l’eau ? Officialisée en 1215 puis au concile de Trente en 1551.Somme toute assez tardivement après Jésus. Une présence mémorielle paraîtrait aussi forte, plus proche des paroles de l’Evangile, plus respectueuses des lois physiques de notre monde, et qui nous dispenserait de l’inventaire parfois ridicule des « miracles eucharistiques » à la suite par exemple de Carlo Acutis.

Quelle urgence à déclarer l’existence d’un péché originel, à cause d’Adam ( !)imparable pour tout humain ? Affirmé par un concile en 418, réfuté en 431, réaffirmé en 519. Imparable, sauf pour Jésus ; et pour Marie, depuis le 08 décembre1854, n’en déplaise à Tertullien, Augustin d’Hippone, Bernard de Clervaux, Thomas d’Aquin et quelques autres !

Si l’on pouvait considérer un dogme comme une manière provisoire de déclarer ce qui semble vrai, à propos d’un point de foi, par l’autorité religieuse, il serait acceptable. Si toutefois sa définition ne se terminait pas par l’exclusion de toute pensée divergente ! Si »par une audacieuse témérité » quelqu’un affirmait une divergence, « qu’il sache qu’il encourrait le courroux de Dieu Tout Puissant et de ses apôtres Pierre et, Paul » (constitution « Ineffabilis Deus », Pie IX, 1854). Ce même texte précise que si quelques-uns affirment « de vive voix ou par écrit » une opinion contraire, « Ils ont fait naufrage de la foi et cessé d’être dans l’unité de l’Eglise ; et que, de plus, ils encourent par le fait même les peines de droit. »

On pourrait espérer un peu plus d’humilité pour se situer dans une patiente et laborieuse recherche de vérité ; et un peu plus de générosité pour accueillir des essais de réflexions différentes.

Nous pourrions multiplier les exemples de cabales, de combats, de dissonances entre chercheurs sur des points de théologie qui ont abouti à des déclarations autoritaires et exclusives de toute autre recherche, alors que les enjeux semblent plutôt aujourd’hui dérisoires. L’histoire mouvementée du dogme de l’Assomption de Marie ou de l’infaillibilité pontificale en est un exemple.

Et ne parlons pas, outre les dogmes, des indulgences, de la vénération des reliques, des apparitions miraculeuses ou des canonisations des saints…

C’est bien pourquoi je rêve d’une foi de charbonnier. C’est-à-dire d’une foi humble dans ses affirmations, ouverte aux recherches mais surtout simple et compréhensible par une intelligence humaine, sans pollution par des mystères ou des allusions irrationnelles.

Ne soyons pas naïfs...

Ne soyons pas naïfs. Une communauté qui se constitue s’organise légitimement et explicite ce qui amène ses membres à faire communauté. Notamment par des convictions partagées et un projet commun.

Mais il y a place pour des différences et pour des interrogations qui peuvent rester en suspens, qui peuvent perdurer sans dommage pour la vie communautaire et sociale. Et les convictions proclamées  n’auraient besoin d’arriver à l’exclusion autoritaire que très exceptionnellement.

L’Eglise catholique s’est organisée très vite sur le modèle de la hiérarchie de l’empire romain, et s’est séparée par exclusion, par excommunication, de nombreuses divergences de convictions. Les dogmes ont cloué à vie des « vérités » de foi qu’il serait opportun, dans le contexte de nos cultures actuelles, de réinterroger. Des théologien(e)s contemporain(e)s effectuent ce travail et de nombreuses communautés en vivent. Reste à la hiérarchie Catholique le devoir de les prendre en compte, de manière à ce que ses enseignements s’éloignent des contes de Perrault.

Ceux que l’on nomme « les croyants » sont de moins en moins nombreux, surtout en occident. Multiples sont les causes de cette situation. Parmi celles-ci figure un langage, des prises de position et des pratiques de l’Eglise incompréhensibles, inacceptables ou inutiles pour les jeunes générations. Les scories accumulées par des siècles d’histoire humaine constituent une gangue qui obscurcit le message simple et humain de jésus de Nazareth. C’est ce message qui peut constituer la foi du charbonnier. C’est à dire non pas une foi servile qui acquiesce à tout, mais une foi à hauteur humaine. Ce qui est déjà immense.

Claude, 02/2024

  • Henri Irénée Marrou, 1978, p.401 « ST Augustin et l’Ange. Une légende médiévale ». Persée.fr, par internet.

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